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Sois invisible et tais-toi !

Les formes de l’invisible

Science-Fiction et Fantastique
Tout public

Sois invisible et tais-toi !

Il arrive que l’invisibilité devienne le reflet d’une condition à laquelle les personnages aimeraient échapper. Dès ses débuts dans le comic book Les Quatre Fantastiques (1961), la super-héroïne Jane Storm reste dans l’ombre de ses coéquipiers masculins, qui étirent leurs muscles à l’envi et brisent des parpaings d’une simple pichenette. Effacée, longtemps reléguée au rôle de faire-valoir, la Femme Invisible n’a pas besoin d’utiliser son pouvoir : elle est déjà transparente aux yeux de ses pairs.

Dans Tonino l’invisible de Gianni Rodari, le thème, traité de façon enfantine, donne lieu à une jolie réflexion sociale. Lorsque Tonino fait le vœu de disparaître pour échapper à une interrogation en classe, les inconvénients de l’invisibilité  ne tardent pas à se révéler au jeune homme. Snobé par ses copains d’école et ignoré par ses propres parents, il désespère sur un banc quand un vieillard le remarque. Pourtant, Tonino n’avait jamais remarqué ce voisin. C’est que personne ne le voit : « Un vieux retraité, tout seul, pourquoi les enfants devraient-ils y prêter attention ? » Et le vieil homme de conclure : « Pour vous, je suis comme l’homme invisible. » 

Car sont invisibles aussi ceux que l’on ne veut pas voir. Des hommes et des femmes desquels on détourne le regard pour ne pas voir la solitude, la pauvreté, l’exil, la souffrance… Ainsi L’Homme invisible de Rapaport qui n’a rien d’un super-héros ou d’un enfant coquin. Ni sauveur, ni voleur, ni blagueur, il nous raconte son histoire qui est celle de tant d’autres. Persécuté, exilé, méprisé, ignoré, il n’en reste pas moins un Homme, avec cet espoir : « Un jour, tu me verras ». Un texte illustré, dur et poignant, pour les grands enfants et les adultes. 

Avec Le quai de Ouistreham (2005), la journaliste Florence Aubenas cherche à éprouver cette « invisibilité » en se mettant dans la peau d’une demandeuse d’emploi d’une quarantaine d’années, sans formation. Elle raconte alors son quotidien : « Mes relations de travail consistent pour l’essentiel à me faire oublier… ». Victoria, une copine de galère, l’avait pourtant avertie : « Tu verras, tu deviens invisible quand tu es femme de ménage ». Le titre de cet ouvrage rappelle d’ailleurs Le quai de Wigan de George Orwell (1937), qui décrit les conditions d’existence de la classe ouvrière du nord de l'Angleterre et fait entendre le cri silencieux de ces oubliés de la société condamnés au travail exténuant et à l’exclusion sociale.